C'est ensuite M. Ragache qui prit la parole :
Il est incontestable que les rois ont crée quelque chose : la France
territoriale, par des mariages, des conquêtes, des héritages…
Mais la république, elle, a inventé autre chose : l'unité
du peuple français. Que l'on songe par exemple au morcellement juridique
de l'ancien régime. En ce sens, on peut parler d'une complémentarité
entre république et royauté, et même discuter de leurs avantages
et inconvénients respectifs.
Mais il y a une évolution plus profonde : jusqu'au XVIIe siècle,
l'homme est une créature, un sujet ou une personne. C'est à dire
qu'il dépend toujours d'une référence extérieure
à lui au point qu'on ne le définit que par rapport à cette
référence. Le XVIIIe siècle voit naître l'individu,
être unique et donc universel parce qu'il vaut par lui-même.
Ce mouvement s'exprime dans la déclaration des Droits de l'Homme…
ET du citoyen : alors que l'homme est un être concret, privé et
social, le citoyen, lui, est un être abstrait, public et juridique.
Cette déclaration des droits, elle les énumère :
La liberté : elle n'est que relative sous l'ancien régime, d'abord
par manque de moyens de la royauté, mais surtout en raison du cadre
étroit où l'homme se trouve enfermé : l'artisan enfermé dans sa
corporation, ou même le noble enfermé dans sa caste par la règle
de la dérogeance, contrairement à la noblesse anglaise. La révolution
française va bien dans le sens du libéralisme : économique
et politique.
L'égalité
: définie par rapport au roi, c'était une égalité dans la sujétion,
relativement au roi, imparfaite par rapport à celle que procure la loi
impersonnelle et abstraite, égale pour tous.
La
propriété : On ne peut vouloir à la fois les corporations et la liberté
économique.Mais plus profondément, c'est la révolution qui en
abolissant le droit d'aînesse a développé la petite propriété. La
révolution, disait
Tocqueville, a été une " machine à hacher le sol ".
Sûreté : elle est mauvaise sous l'ancien régime, par manque de moyens
pour l'assurer, par l'arbitraire royal (même si les lettres de cachet
ont surtout servi à embastiller quelques fils qui faisaient des dettes)
et par l'arbitraire seigneurial (par exemple la suppression des
communaux dans les temps de difficultés économiques). La Révolution n'a
pas apporté la sûreté : l'anarchie, puis la Terreur, véritable
terrorisme contre-terroriste d'Etat, ne le permettaient pas.
Ce
qui a apporté la sûreté, c'est la loi, que l'on voit trop souvent sous
l'angle de la répression et pas assez sous celui de la protection.
Résistance à l'oppression : le pouvoir établi n'est plus
sacré, on peut se révolter contre lui.
Ces principes définissent un état de droit. En principe. Car le
risque c'est que le populus, le peuple se fasse plebs, plèbe. C'est ce
qui arrive si l'on prétend ne pratiquer que la démocratie seule
: une dérive absolutiste du peuple, bien proche du fascisme ou de l'hitlérisme.
Il faut dont pour que tout cela soit viable une démocratie tempérée
par la république. La démocratie est une méthode, une technique.
Ce qui porte les valeurs et une sorte de messianisme, c'est la république.
Comment
donc la république tempère-t-elle la démocratie : en faisant des
citoyens éclairés, et cela par le travail, sans que la plus grande
partie du pouvoir dépende de ceux qui comme le maître de Figaro ne se
sont donné que la peine de naître et rien de plus.
Il y a un
élitisme républicain fondé sur le travail, qui croit que l'on peut
donner un esprit civique en vue de l'intérêt général. Cela suppose la
laïcité, celle de Condorcet, puis celle de Jules Ferry, vosgien qui
veut des petits français pour la revanche) : il ne faut pas que
l'embrigadement religieux ou politique empêche cet élitisme
républicain. Cela suppose, d'une certaine manière, d'arracher les
enfants à leur identité familiale même si
cela peut paraître choquant quand on le formule ainsi (exemple des gens
du voyage, dont les enfants si on les laisse vivre comme leurs parents
reproduisent la même vie misérable et souvent délinquante).
Grâce à cela, la république fait une nation. Pas des communautés
juxtaposées comme on entend parler de la communauté juive, de
la communauté musulmane : la république ce sont des citoyens abstraits,
ce qui permet d'ailleurs le cosmopolitisme, celui de Rivarol, celui de la colonisation, celui de la république d'aujourd'hui.
Tous cela fait que la république aujourd'hui est enracinée. Elle
connaît des problèmes, mas ces problèmes, les monarchies
d'Europe les connaissent aussi. Le pouvoir n'est plus vertical mais
horizontal, et l'individualisme fait que l’on consomme aujourd'hui les
régimes
sous la forme de l'alternance des gouvernements, consommation qui paraît
un peu plus problématique dans une monarchie.
Question dans le public : Le prédécesseur de M. Ragache au grand
Orient, a parlé de l'islam comme d'une " chance pour la France ".
Qu'en pense M. Ragache ?
M. Ragache : Je ne me souviens pas qu'il ait dit cela, il a sans doute plutôt
dit que l'immigration devait permettre de régler un problème de
main d'œuvre. D'ailleurs les problèmes que nous avons avec les immigrés
sont essentiellement liés à la situation économique : il
n'y avait pas ces problèmes durant les 30 glorieuses.
Autre question : Les francs-maçons sont-ils aujourd'hui autorisés
dans toutes les monarchies ? dans quels pays sont-ils interdits ?
M.
Ragache : Ils sont interdits dans les pays totalitaires communistes et
dans les pays totalitaires de droite. Et dans les pays islamiques à
part deux
ou trois exceptions comme la Jordanie.
Puis ce fut au tour d'Hilaire de Crémier de pourvoir prendre la parole :
Cette confrontation est intéressante et il le faut car le moment est
venu des questions sur l'avenir de la France.
M. Ragache parlait de Rivarol, mais justement : Rivarol avait compris
comment la république, précisément avec ses principes abstraits,
aboutirait au contraire de ce qu'elle se proposait.
Est-elle d'ailleurs si assurée cette république ? elle s'est installée
de manière lente, dans des soubresauts incroyables : il a d'ailleurs
fallu la consolider en se tournant vers Bonaparte, et on peut même se
demander si elle n'a pas le besoin régulièrement de se "
ressourcer " dans un principe d'autorité, sans toutefois vouloir
le faire dans l'autorité légitime.
Si la république a pu paraître recevoir un surcroît de légitimité
avec la victoire de 1914, il ne faut pas pour autant oublier que la 3e
république a fini dans la défaite, la 4e dans l'incohérence et
l'absurdité,
au point qu'il faut se demander si tout cela n'est pas le signe d'un problème
au cœur de nos institutions.
Charles de Gaulle, justement avec la IVe république finissante, a voulu
arracher la France au régime des partis. C'est toute l'ambition de la
Ve république à son origine : permettre en supprimant le régime
des partis une véritable politique nationale. Mais il en a été
de Charles de Gaulle comme de Mac Mahon (et dans une certaine mesure de
François Mitterrand) : ils se sont sentis à la bonne place, et cela
même
permettait la perpétuation du vice du système républicain
quand bien même ils auraient voulu l'extirper complètement. Il
y a des constantes dans l'histoire dirait Bainville.
Vous avez défini, M. Ragache, la république dans ce qu'elle peut
avoir de convaincant. Mais elle n'est pas laïque, elle est athée
: c'est une métaphysique de remplacement., aux principes essentiellement
abstraits. Et c'est cela qui fait question aujourd'hui derrière l'inquiétude
doctrinale profonde que l'on trouve chez bien des éditorialistes : la
république est une religion, mais cette croyance est en émiettement
parce que le libéralisme est remis en cause.
" La république " : res publica, la chose publique. On a évoqué
Platon, mais on pourrait aussi parler de Bodin, qui voyait précisément
dans la monarchie le régime propre à sauver la res publica, la
chose commune, le souci du bien commun. Et l'individu moderne est
justement en train de pulvériser la république en tant que bien commun.
Que faudrait-il faire, si l'on néglige le côté démagogique,
pour remédier à cela ? Restaurer l'autorité de l'état
; ramener l'Etat à assurer ses missions justement dites régaliennes
; décentraliser.
Car voilà deux siècles que l'on prêche la liberté abstraite et les
Français en sont réduits à exiger leurs libertés. Ainsi la
décentralisation est essentiellement contraire aux principes de la
république une et indivisible, et le récent avis du conseil d'état sur
la loi Raffarin dit bien que vouloir faire
une république décentralisée, c'est aller contre les principes
mêmes de la république car ce serait laisser la liberté de leur budget
aux régions. Pourtant ce serait nécessaire de l'avis de beaucoup si
l'on veut que la France vive demain, comme patrie ou comme nation, dans
la modernité, ou, comme l'on dit, dans la post-modernité.
Tout cela devrait d'ailleurs amener les esprits à s'assouplir quant aux
problèmes idéologiques pour s'affronter aux vraies questions, et pas à des fictions juridiques ou métaphysiques.
Remarque dans le public : Le réquisitoire que l'on vient d'entendre contre
la république aurait été possible dans tous les autres
pays d'Europe et en particulier dans les monarchies. Si l'on se réfère
à l'exemple américain, ce qui nous manque, ce n'est pas tant alors
la monarchie que des contre-pouvoirs
Question dans le public : Peut-on avoir un éclairage conceptuel sur la
légitimité ?
Réponse de M. Menissier : On a parlé de Bodin, mais lui aussi
participe au mouvement vers l'abstraction, bien que monarchiste, il préfigure
la république par sa conception de la volonté générale
et de la souveraineté. L'abstraction peut paraître difficilement
légitime, mais c'est parce qu'elle ne s'incarna pas tout le temps, et
même pas très souvent. L'histoire politique est justement l'histoire
lente et parfois chaotique d'abstractions qui prennent corps.
M. de Crémiers : Mais la souveraineté chez Bodin, n'est pas d'une
manière assez précise et peu abstraite l'indépendance,
contrairement à la volonté générale purement abstraite
de Rousseau ?
M. Menissier : Bodin parle en effet des marques de souveraineté, qui
sont concrètes, mais il précise bien que la souveraineté
ne se limite pas à ces marques et lui réserve donc au-delà
d'elles un caractère abstrait qui préfigure la volonté
générale, des abstractions constituantes qui forment une idée
du sacré qui correspond de moins en moins au Dieu chrétien.
M. de Crémiers : Le concret supporte pourtant assez mal l'idéologie.
L'absolu est redoutable quand il fait irruption dans le relatif, et s'il y a
eu séparation de l'Eglise et de l'Etat, on peut se demander si l'Etat,
lui s'est bien séparé d'une forme d'église quand il prétend
former une idée du sacré.
M. Ragache : Mais vous qui ne cessez de réclamer contre l'abstraction,
n'êtes vous pas extraordinairement abstrait ? Il est toujours facile quand
on est " dans l'opposition " de critiquer, mais concrètement,
quelle forme de monarchie proposez-vous ? Un système qui repose sur un
homme est fragile, on le voit en Belgique où Baudouin était intelligent,
mais où on ne peut pas en dire autant d'Albert. Et dans cette optique
que fait-on de l'Europe ? faut-il donc mettre un roi à sa tête
?
(La discussion entre les orateurs est interrompue faute de temps afin de privilégier une dernière question dans le public)
Question
dans le public : Tout cela est bel en bon, mais pour l'instant personne
n'a ici parlé des urgences : la démographie, le métissage
et l'invasion migratoire.
Me Haye : Cette question est intéressante, mais nous nous placions ici
à un autre niveau. Il ne faut pas avoir sur ces sujets de position
dogmatique, et l'on peut penser que la monarchie saurait mieux s'en
débrouiller que la république, puisqu'elle ne serait précisément pas
dogmatique.
Pour finir, M. Alexandre, l'un des fondateurs du Cercle Louis de Frotté
fit une petit allocution où il se félicitait de ce débat et de que le
Cercle l'ait organisé. Un vin d'honneur prolongeait la fin de
l'après-midi.
T.G.
CF. :
http://www.cercle-louis-de-frotte.com